A l’instant où l'Ombre de Jade sortit de l’hyperespace près de Bastion, la capitale des Vestiges de l’Empire, Saba Sebatyne sut que quelque chose clochait. Grâce à son pouvoir, elle sentit que des multitudes d’êtres mouraient partout autour d’elle. Mais il y avait plus que cela. Un étrange vide dans la Force, comme si l’univers entier risquait d’être avalé par le néant.

La Barabel grogna à la seconde même où Mara criait :

— Des Yuuzhan Vong !

— Où ? demanda Luke, assis dans le siège du copilote.

— Partout ! Accrochez-vous, les amis, parce que ça risque d’être chaud.

Le vaisseau fit une violente embardée.

Saba n’eut pas besoin de consulter les écrans pour savoir que leur navire était encerclé. Une nuée de skips le harcelait, faisant feu de toutes leurs armes.

Saba enfonça ses griffes dans les accoudoirs de son fauteuil, y laissant de longues déchirures.

— Tu le sens, Saba ? demanda Jacen en s’approchant de la Barabel au mépris du tangage. A travers la Force, peux-tu dire ce qui se passe ?

— Je sens…

Une nouvelle vague de souffrance et de mort déferla dans l’esprit de la Barabel. Les Yuuzhan Vong attaquaient Bastion, et des millions de malheureux succombaient.

Comment décrire cela avec des mots ?

— Je capte de la vie, dit Jacen, mais dans un tel désarroi…

Saba percevait la même chose. Partout, la panique régnait. Sur la planète, les habitants tentaient en vain d’échapper aux envahisseurs. Les vaisseaux en orbite, directement sous le feu ennemi, battaient en retraite dans le plus grand désordre. Plus loin dans l’espace, des forces désorganisées tentaient de se regrouper.

— J’ai repéré une quinzaine de vaisseaux vong, annonça Mara. Des gros ! Quoi que nous fassions, Bastion subira un bombardement en règle.

— On dirait que des navires quittent la planète, fit soudain Luke. Sans doute pour se regrouper dans un endroit moins exposé. (Il étudia quelques instants son écran.) Non, ce sont des vaisseaux civils. Les Impériaux évacuent Bastion.

Un lourd silence ponctua cette nouvelle. Pour en arriver là, les Vestiges de l’Empire avaient dû être sérieusement touchés. Et ce n’était pas fini…

Aussi amère que fût une retraite, il n’y avait parfois pas de meilleure solution tactique. Les navires qui fuyaient Bastion profitaient encore des boucliers planétaires. S’ils tenaient encore un peu, la majorité de la population s’en tirerait.

Quoi qu’il en fût, cette partie de la bataille était déjà jouée. Saba sonda mentalement le système solaire à la recherche des forces regroupées. La plus importante était composée de deux destroyers et de plusieurs vaisseaux d’escorte. Prise dans le champ d’attraction d’une géante gazeuse, elle avait maille à partir avec un puissant contingent ennemi.

Saba consulta l’écran principal pour repérer la position de ce groupe dans l’espace. Si l’Ombre de Jade était incapable d’aider Bastion, son intervention dans un combat moins important modifierait la donne.

— Là…, grogna-t-elle en désignant un point sur l’écran. Nous pouvons être utiles, mais il faudra faire vite.

Jacen alla communiquer ces informations à Mara.

Saba ferma les yeux quand l’Ombre de Jade accéléra, puis exécuta un microsaut dans l’hyperespace pour s’approcher de la géante gazeuse.

Ce n’est qu’une planète de plus ravagée par les Yuuzhan Vong, se dit Saba. Vis dans le présent…

Une petite main couverte de fourrure saisit le poignet de la Barabel. Tekli, la minuscule Chadra-Fan, venait de prendre la place laissée libre par Jacen, et elle émettait une vague de phéromones que Saba trouva apaisante. Elle savait que l’assistante de Cilghal avait appris à maîtriser son don afin de diffuser des composants chimiques aptes à soulager un grand nombre d’espèces. Jusque-là, elle n’avait jamais imaginé que les Barabels étaient du nombre…

Naguère, être réconfortée par une créature qui ressemblait à une proie plus qu’à un égal aurait déconcerté Saba. Là, elle s’abandonna aux senteurs qui la détendaient si agréablement.

Hélas, il fallut vite en revenir à la bataille en cours.

Sur l’écran, la géante gazeuse aux reflets orange occupait toute la place. Des anneaux et des satellites l’entouraient, comme pour assurer sa défense. Tous avaient été bombardés par l’ennemi. A travers l’atmosphère pourtant très dense, Saba sentit la détresse qui se répandait dans une colonie d’êtres en forme de ballons. Très semblables aux beldons géants de Bespin, ils étaient trop primitifs pour comprendre ce qui se passait dans le ciel de leur monde.

L’Ombre de Jade approcha de la planète, deux coraux skippers à ses basques, et fonça vers les vaisseaux impériaux. Alors que le navire approchait des deux destroyers, Mara plongea vers une des plus grandes lunes de la géante gazeuse. Ses adversaires la suivirent, canardant ses boucliers arrière.

L’épouse de Luke riposta mollement pour détourner l’attention des pilotes ennemis. Puis elle utilisa la Force afin de lâcher sous leur garde deux ombres-bombes.

Les skips explosèrent dans une gerbe de flammes.

Mara changea de cap et activa son unité com.

— Ici Mara Jade Skywalker, capitaine de l'Ombre de Jade, un navire de l’Alliance Galactique. J’appelle le destroyer impérial Chimaera. Me recevez-vous ?

L’unité com cracha quelques parasites, puis une voix répondit :

— Vous êtes bien loin de chez vous, capitaine Skywalker.

— Nous sommes venus faire un petit tour, pour voir comment vous vous en sortez. A première vue, ça ne va pas très fort.

— Ce n’est pas le moment idéal pour une visite, Ombre de Jade. Sauf si vous êtes l’avant-garde d’une flotte puissante…

— Désolée, Chimaera, mais nous sommes seuls. Cela dit, je vous conseille de concentrer vos tirs sur le croiseur qui se tient un peu à l’écart. C’est lui qui transporte le yammosk. Si vous le détruisez, l’espoir changera de camp.

— Un yammosk ? Comment savez-vous où il est ?

— Reposez-moi la question plus tard, quand vous saurez que je ne me trompe pas.

— Compris, capitaine Skywalker. Je vais transmettre vos informations…

— Avant, je voudrais parler au Grand Amiral Pellaeon.

— Je vais essayer de vous connecter…

La communication cessa. Quelques secondes plus tard, un escadron de chasseurs Tie jaillit des flancs du Chimaera et fondit sur l’analogue de croiseur désigné par Mara.

Les Vong attaquaient moins violemment, désormais. Cela dit, tout prouvait que le combat, avant l’arrivée de l'Ombre de Jade, avait été très intense. Les deux destroyers portaient des traces noires de tirs de plasma. Le Chimaera avait encaissé les pires coups, sa coque éventrée par endroits laissant plusieurs ponts exposés au vide de l’espace.

Saba sentit la détermination des membres de l’équipage qui luttaient pour survivre. Elle captait aussi les signaux vitaux agonisants de ceux qui n’y étaient pas parvenus. Sans pouvoir dire combien il y avait de blessés ou de morts, elle savait que ce nombre était très élevé.

— Mara Jade Skywalker, si vous êtes venue me dire un truc du genre : « Je vous avais prévenu », sachez que j’ai d’autres rancors à fouetter.

— Je ne suis pas du genre à enfoncer le clou, Gilad, répondit Luke. Et vous, je sais que vous n’êtes pas du style à abandonner.

— Deux Skywalker pour le prix d’un ? A quoi devons-nous cet honneur ?

— Attribuez-le au destin, ou à la chance… Gilad, vos forces se font écraser. Comment est-ce possible ? Considérant la taille de votre flotte, je pensais que vous tiendriez le coup.

— Ils nous ont pris par surprise, concéda à contrecœur le Grand Amiral. Au début, nous avons contenu les Vong. Quand ils ont battu en retraite, nous avons cru avoir gagné. Mais ils s’étaient simplement écartés pour libérer le chemin…

— A des scarabées creuseurs ? avança Mara.

— Des milliers… Dès qu’ils ont percé nos défenses, les Vong sont revenus à la charge. Et depuis, ils nous harcèlent.

— Amiral, dit Luke, notre offre d’alliance tient toujours.

— Votre sœur est déjà venue essayer de nous vendre cette idée. La réponse des Moffs était sans équivoque.

— Et que font-ils pour vous aider, à présent ? demanda Luke.

Pellaeon hésita. Aussi fier qu’il fût, cet homme était assez intelligent pour reconnaître qu’il avait besoin d’assistance, même si ça lui déchirait les entrailles.

— D’accord, Skywalker, dit enfin le Grand Amiral. Nous en parlerons plus tard, si nous sommes encore vivants. Grâce à vos informations, nous avons une chance de rétablir l’équilibre sur ce front. Si ça marche, la flotte se regroupera dans le système de Yaga Minor. Les réfugiés civils se dirigent vers Muunlinst, mais nous pensons que les Vong suivront plutôt les vaisseaux militaires, pour continuer à les harceler. Si vous arrivez avant nous, demandez à parler à la capitaine Arien Yage, du Faiseur de Veuves. Elle a servi sous mes ordres à bord du Chimaera. Si elle est sortie vivante de Bastion, elle vous écoutera.

— Compris. Bonne chance, Grand Amiral.

Pellaeon coupa la communication.

— Ça devait arriver, dit Jacen, brisant le silence qui était tombé sur le pont de l'Ombre de Jade. Nous savions que ce désastre était inévitable, même si les Impériaux pratiquaient la politique de l’autruche.

— C’est vrai, mais ça ne rend pas le spectacle plus agréable, souligna Luke, un rien de reproche dans la voix.

— J’aimerais tant que nous puissions faire quelque chose…

— Inutile de perdre du temps à souhaiter des choses, sauf si on sait faire jaillir une flotte du néant, répliqua Mara. Ils ont eu l’occasion de s’allier à nous, et ils ont refusé. Dans un premier temps, les Vong les ont laissé en paix, sachant qu’ils ne se mêleraient pas au conflit en l’absence de provocation. Ils ont attendu le meilleur moment pour frapper et c’est exactement ce que j’aurais fait à leur place. Ecraser l’Empire au plus vite, en utilisant autant de ressources que possible. Une bonne stratégie, puisqu’elle permet de remobiliser très vite les forces en question sur un autre champ de bataille. Après s’être débarrassé d’un moustique irritant…

— Si l’Empire s’en sort, les Vong découvriront qu’il est bien plus dangereux qu’un moustique. (Luke s’écarta pour laisser Mara consulter l’écran tactique.) Tu reconnais le deuxième destroyer ?

— Il est en mauvais état, mais je dirais que c’est le Supérieur.

— Les Yuuzhan ne le laisseront pas rôder dans le coin jusqu’à la fin des temps.

— Je fais le même pronostic que toi sur le destin des Impériaux, Luke. Pellaeon repoussera sans doute cette force vong, si les chasseurs détruisent le yammosk, mais la prochaine vague le balayera de la surface de l’univers.

— Et nous avec, si on reste dans le coin.

A l’évidence, Luke détestait la décision qu’il allait être obligé de prendre. Saba devinait qu’une part de lui brûlait d’envie d’aider les Impériaux à se sortir de ce piège. Mais la mission prioritaire était de trouver Zonama Sekot. Pour ça, il fallait que l’Ombre de Jade reste en un seul morceau.

La Barabel en eut les griffes qui lui démangeaient. Comment abandonner une planète de plus aux Yuuzhan Vong ? Hélas, sacrifier Bastion semblait la démarche la plus logique.

— Nous les retrouverons à Yaga Minor, soupira Luke.

— Une fois de plus…

— Mara, peux-tu t’arracher sans dommage à l’attraction de la géante gazeuse ?

— Bien sûr ! Et semer les Vong en pilotant les yeux fermés.

— Alors, ne te gêne pas.

— Attachez vos ceintures, les amis ! Ça ne sera pas une gentille croisière d’agrément.

Saba alla prendre place sur un fauteuil, dans la salle des passagers, et boucla son harnais. Danni Quee, pâle comme la mort, était assise à sa droite, près de Jacen et Tekli. Une configuration familière, puisqu’ils l’avaient adoptée durant la plus grande partie du voyage – par précaution, au cas où des ennuis se profileraient.

A présent, la chasse était ouverte, et ils allaient être le gibier. La proie périrait-elle ? Le prédateur devrait-il rester sur sa faim ? L’éternelle question…

Qui était le chasseur ? Les Vong, ou l’Empire ? Saba n’en était pas sûre, mais aussi peu qu’elle connût le Grand Amiral Pellaeon, ce n’était pas le genre d’homme qui se laissait dévorer sans résistance. Au dernier moment, alors que le « vainqueur » savourait son triomphe, il pouvait se retourner et montrer des crocs beaucoup plus longs que prévu.

 

Jacen s’assit à la console de navigation au moment où l’Ombre de Jade sortit de l’hyperespace à une distance raisonnable de Yaga Minor. Deux destroyers à demi terminés orbitaient autour de ce monde, connu pour être le principal fournisseur de navires des Vestiges de l’Empire.

Les premiers survivants de Bastion arrivèrent peu après. Ils gagnèrent les docks de la Plate-Forme de Défense Golan III, qui furent vite débordés, car la station n’était pas conçue pour abriter toute la flotte des Vestiges, même diminuée par les pertes subies autour de Bastion.

Les détecteurs de Mara repérèrent trois destroyers en provenance de la planète-capitale de l’Empire. Mais aucun n’était le Chimaera ou le Supérieur.

Si le Grand Amiral n’avait pas survécu, pensa Jacen, leurs chances de convaincre les Impériaux seraient quasiment nulles. Car lui seul pouvait faire entendre la voix de la raison aux Moffs.

— Combien de temps attendrons-nous son arrivée ? demanda Danni Quee.

— Je n’en sais rien, avoua Jacen. Mais Gilad Pellaeon est depuis toujours un survivant. Si une chance de salut s’est présentée, il l’aura saisie.

Une alarme bipa. Jacen se connecta à l’unité com et écouta sa tante expliquer à un escadron de chasseurs Tie ce que l’Ombre de Jade faisait dans le secteur. Le chef de vol l’écouta patiemment et ne fit montre d’aucune agressivité, une réaction rare chez les Impériaux. Sans doute parce que l’homme était rassuré de n’avoir pas affaire au premier navire d’une flotte vong.

Les ennemis de mes ennemis sont mes amis…, pensa Jacen. Si Gilad Pellaeon ne s’en sortait pas, ce vieil adage jouerait quand même en leur faveur.

Enfin, peut-être, car un autre appel subspatial doucha l’optimisme du jeune homme.

— J’appelle l'Ombre de Jade. Vaisseau non-autorisé, répondez immédiatement !

— Ici l'Ombre de Jade, dit Mara. Qu’y a-t-il encore ?

— Préparez-vous à être abordé.

— Quoi ? Nous sommes en mission pacifique, et…

— Cela reste à prouver. Obéissez sur-le-champ ou nous détruirons vos moteurs.

— Essayez, si ça vous chante ! Qui me parle ? Et quel idiot vous a donné cet ordre ?

— Je suis le commandant Keten, représentant du Moff Flennic de Yaga Minor. Vous violez l’espace impérial et nous ouvrirons le feu si vous ne vous pliez pas à notre demande.

C’était délirant, se dit Jacen, même venant des Impériaux. Il alla rejoindre Luke et Mara dans le cockpit et vit, sur l’écran, le croiseur qui fondait sur eux en compagnie de deux escadrons de chasseurs Tie.

— Que faisons-nous ? demanda Luke à son épouse.

— Je n’en sais rien… Il me faudrait du temps pour réfléchir.

— Hélas, nous n’en avons pas.

— Je ne vois pas où est le problème, intervint Jacen. Laissons-les monter à bord. Après tout, nous n’avons rien à cacher.

— Il a raison, Mara. Et ce serait une preuve de notre bonne volonté.

Jacen fut ravi de recevoir le soutien de son oncle. Mais sa tante ne paraissait toujours pas convaincue.

— Je connais les gens comme Flennic… Ils n’ont jamais digéré la défaite de l’Empire. S’il nous met la main dessus, nous travaillerons dans une usine navale jusqu’à la fin de notre vie.

— Qui arrivera vite si les Yuuzhan Vong déboulent ici, rappela Luke.

— Répondez, ou nous ouvrons le feu ! cria l’impérial dans l’unité com.

Soudain, un sourire flotta sur les lèvres de Mara.

— J’ai une idée ! Avec tous les Jedi qu’il y a à bord, faisons venir Keten, et le problème sera vite réglé.

Elle réactiva la fonction « émission » de l’unité com.

— C’est entendu, commandant. Nous avons peu de place, mais vous accueillir sera un plaisir. Vous verrez que…

— Vous me croyez assez fou pour venir ? Et me laisser avoir par vos trucs de Jedi ? Des droïds Mark 5, voilà ce que nous allons vous envoyer !

— Au temps pour mon idée, souffla Mara.

— Tu ne peux pas blâmer ce type d’être méfiant, dit Jacen. Après tout, tu voulais bel et bien l’abuser avec nos pouvoirs.

— En tout cas, fit Luke, nous ne pouvons plus reculer. Après avoir accepté qu’on nous aborde…

L’unité com bipa. Un autre croiseur approchait.

— Ici la capitaine Yage, du Faiseur de Veuves… Commandant Keten, vous pouvez rebrousser chemin. Je monterais à bord de ce vaisseau, puisque vous vous y refusez.

— Mais…

— Dois-je vous rappeler qu’un capitaine de la Flotte est supérieur à un commandant planétaire ? Je vous ordonne de laisser tomber. Obéissez sans discuter.

Un long silence suivit.

— Je me plie à votre autorité, capitaine, mais je vous prie de consigner mes protestations dans votre rapport.

— C’est noté, commandant. Fin de la communication.

Le croiseur et ses chasseurs s’éloignèrent, laissant l’Ombre de Jade face à son nouvel interlocuteur.

— Permission d’accoster ? demanda Yage à Mara.

— Pellaeon nous avait conseillé d’entrer en contact avec cet officier, rappela Luke à son épouse.

— Ce n’est pas vraiment rassurant, mais il faudra faire avec… Adaptez votre vitesse à la nôtre, capitaine, et déployez votre tunnel de transfert. Bienvenue à bord.

Jacen alla au fond du vaisseau pour ouvrir le sas. Avec tout le matériel embarqué, il n’y avait pas beaucoup de place dans le navire. Mais un passager de plus ou de moins…

En chemin, le jeune homme rencontra Danni Quee.

— Tout va bien ? demanda-t-elle.

— On ne peut pas trop se plaindre… Je vais accueillir notre visiteuse.

Jacen hésita avant de s’engager dans la coursive principale. Jusque-là, Danni n’avait eu aucune occasion de se montrer utile – une raison de plus de se sentir très nerveuse.

— Ça te dirait de m’accompagner ?

La scientifique sourit aux anges et emboîta le pas à son compagnon. Devant le sas, Jacen vérifia qu’il avait bien son sabre laser, au cas où Yage serait une personne moins recommandable que Pellaeon l’affirmait.

— Tu vas bien ? demanda-t-il ensuite à Danni.

— Pourquoi est-ce que je me laisse toujours embarquer dans des galères, Jacen ?

— Je ne t’ai embarquée dans rien du tout… Tu aurais pu refuser de venir.

— Je ne parlais pas de ça, mais de cette fichue mission !

— Je comprends… Cela dit, notre visiteuse ne peut pas être bien dangereuse.

— Je n’ai jamais rencontré un Impérial. Mais je me souviens des histoires que racontaient mes parents. Ce sont des monstres, pas vrai ?

— Non, Danni, des humains, comme nous… Tu sais, je me demande souvent comment ce sera après la fin de la guerre. Que ferons-nous quand il n’y aura plus de galères où embarquer ?

— Nous reprendrons nos occupations précédentes, je suppose…

— Les Vong sont là depuis si longtemps que j’ai oublié le temps où nous étions en paix. Et chaque jour, mes souvenirs s’effacent un peu plus.

— C’est peut-être mieux comme ça… Une franche rupture avec le passé. Si les Impériaux s’allient à nous, ce sera peut-être un premier pas vers une galaxie unifiée.

— Une perspective plaisante, mais je me pose aussi des questions sur les petites choses. A propos de ce que je ferai, et pas seulement sur le destin de la galaxie…

— Eh bien, tu t’attelleras à la tâche favorite des Jedi.

— A savoir ?

— Chercher les ennuis avec une lanterne !

Malgré son anxiété, Danni réussit à sourire.

Jacen se réjouit qu’elle se sente un peu mieux.

— Et si je m’installais dans un coin tranquille pour méditer ? Il y aurait de quoi m’occuper une vie ou deux…

— Tu risquerais de te sentir seul…

— C’est vrai…

Jacen crut à un commentaire banal… jusqu’à ce qu’il croise le regard de Danni.

Etrangement, il eut quelque difficulté à détourner les yeux.

— Jacen ? lança la voix de Mara dans son comlink.

— Ouverture du sas dans dix secondes…

 

La capitaine Yage, une solide quadragénaire aux cheveux noirs coiffés en chignon, franchit le sas un pas devant ses deux gardes du corps, des soldats armés de carabines-blasters.

— Bienvenue à bord de l'Ombre de Jade, dit Jacen.

Les mains dans le dos, il présenta Danni aux trois Impériaux. Yage salua ses hôtes selon les règles, mais il ne jugea pas utile de mentionner les noms de ses anges gardiens.

— Merci de nous avoir tirés de ce mauvais pas, tout à l’heure, dit ensuite Jacen.

— Ce fut un plaisir… J’ai toujours détesté la bureaucratie et ses pertes de temps, surtout quand un idiot comme Keten est aux commandes. Bien entendu, ce commentaire devra rester entre nous.

— Cela va de soi…

Jacen guida les « invités » dans la salle de réunion, où Mara et Luke les attendaient. Saba et Tekli étaient là aussi. En voyant la Barabel, les deux soldats levèrent imperceptiblement leurs armes. Aussi surprise qu’eux, Jacen l’aurait parié, Yage réussit à ne pas tressaillir.

Saba émit un bruit de gorge rassurant et les deux Impériaux baissèrent leurs carabines-blasters.

— Je rencontre enfin le légendaire Luke Skywalker, dit la capitaine après avoir rapidement salué les deux non-humaines. J’ai tant entendu parler de vous.

— Un ramassis de mensonges, sûrement, fit Mara avec un petit sourire.

— J’espère que non, parce que Gilad m’a dit beaucoup de bien de vous deux.

— Savez-vous s’il a réussi à se tirer du piège de Bastion ?

Une ombre passa sur le visage de l’impériale.

— Depuis l’attaque des Yuuzhan Vong, les services de renseignement de la Flotte sont dans le brouillard.

— Savez-vous pourquoi les Vong vous ont infligé tant de dommages en très peu de temps ?

— La réponse est simple : nous avons été pris par surprise. D’après nos espions, la flotte vong se dirigeait vers Nirauan, et nous n’avions rien à craindre. A l’évidence, ces agents n’étaient pas très fiables. Mais nous aurions dû être prêts quand même. Toute personne sensée aurait dû comprendre que notre raisonnement ne tenait pas. Ne pas avoir été attaqués jusque-là n’était en rien une garantie que ça ne viendrait jamais. Et refuser de nous allier au reste de la galaxie ne nous mettait pas en sécurité. Cette stratégie n’a pas réussi aux Hutts. Pourquoi en aurait-il été autrement pour nous ?

— On dirait bien que vous payez le manque de clairvoyance de votre Conseil, souffla Mara.

— Mais les Moffs reconnaîtront peut-être leur erreur.

— Vous croyez ça ? Après le petit numéro téléguidé par le Moff Flennic ? Il tentera peut-être de résister aux Vong, mais pas question pour lui de s’allier à ceux qui ont renversé l’Empire. (Yage les regarda tous, puis planta ses yeux dans ceux de Luke.) C’est bien pour ça que vous êtes ici, n’est-ce pas ? Mais nous avons déjà signé un traité. Que voulez-vous de plus ?

— Que l’Empire se joigne à l’Alliance Galactique ! Mais ça, c’est du ressort de nos diplomates respectifs.

Pour l’instant, nous voudrions simplement l’assurance que vous nous soutiendrez si nous vous prêtons main-forte. Ensuite, nous…

— L’Empire n’a pas besoin de vous pour se battre, coupa Yage. (Plus courtoise que Keten, elle avait le même fond d’arrogance impériale que lui.) A présent, nous attendons les Vong de pied ferme.

— Vous n’irez pas loin avec une stratégie classique, dit Mara. Nos plus grands cerveaux ont mis au point une méthode de contre-attaque basée sur le yammosk qui rend les Vong si difficiles à battre. Nous sommes disposés à vous communiquer ces techniques…

— En échange de quoi ? coupa de nouveau Yage.

— De rien…, répondit Luke. Je ne suis pas un diplomate, mais un Jedi qui milite pour la paix et la vie. Les négociations ne sont pas mon fort, parce que je lutte pour qu’il y ait moins de victimes innocentes.

Jacen frissonna en entendant les paroles de son oncle… et ancien professeur. Ces mots collaient avec la nouvelle philosophie de la Force qu’il tentait de mettre au point.

Pas le moins du monde impressionnée, Yage leva un sourcil sceptique.

— Et que faites-vous des vies yuuzhan vong, Jedi ?

— Les Vong sont les agresseurs, et notre aide ne vous assurera pas la victoire. Ce que vous ferez de cette information vous regarde.

— Pour être franche, Skywalker, si ça ne dépendait que de moi, nous accepterions votre proposition. Hélas, sans Gilad pour plaider votre cause, personne ne vous écoutera. Les passéistes endurcis pensent que l’Empire, au temps de sa gloire, aurait repoussé sans mal les envahisseurs. Bref, c’est à cause de vous que nous en sommes là. Et selon eux, si nous devons disparaître, autant le faire dignement… Skywalker, les derniers survivants de Bastion sont arrivés, et Gilad n’est pas parmi eux. Il ne reviendra pas et ne pourra pas vous aider.

— Dans ce cas, dit Luke, nous devrons parler à Flennic, même si c’est une tête de mule. Vous pouvez nous conduire à lui sans que des crétins comme Keten nous tombent sur le paletot ?

— J’essayerai… Gilad hors jeu, la faction opposée à l’Alliance prendra le dessus. Et comme le Conseil des Moffs sera en effervescence après les attaques sur Bastion et Muunilinst, je ne peux pas garantir que… (Le comlink de l’impériale bipa.) Veuillez m’excuser.

Yage écouta son interlocuteur et coupa la communication après un « compris » laconique.

— Des mauvaises nouvelles ? demanda Jacen, qui avait senti le trouble de l’impériale.

— Une navette vient d’arriver de Bastion. Elle transporte des blessés récupérés sur le Chimaera, et Gilad est du nombre.

— Eh bien, c’est plutôt rassurant, non ?

— Il est dans le coma, et on ne lui donne pas une chance de s’en tirer.

 

Leia alla voir Tahiri la veille du départ du Faucon Millenium.

Depuis que Jacen et les autres s’étaient envolés, deux jours plus tôt, la jeune femme se sentait vide et inutile. Prévue dans les effectifs de cette mission, elle avait en somme abandonné tout le monde. Et dans l’infirmerie de Cilghal, elle ne faisait pas grand-chose pour aider à la victoire contre les Vong…

Jaina passait de temps en temps, mais elle était trop occupée par le prochain départ de son escadron pour s’attarder auprès d’une malade. En tout cas, selon Tahiri, que chacune de ses visites culpabilisait davantage.

Logiquement, quand une infirmière lui annonça que la princesse Leia en personne venait la voir, la jeune femme ne cacha pas sa surprise – et ne réussit pas à dissimuler son embarras.

— Comment vas-tu ? demanda Leia en tirant une chaise près de la tête du lit.

— Très bien, merci, répondit Tahiri en ravalant ses larmes.

Le regard de Leia lui rappelait tellement celui d’Anakin.

— Pas de ça avec moi, ma jeune amie…

— Bon, d’accord, j’ai déjà été plus en forme. Mais c’est simplement de la fatigue. Après avoir été saluer l’équipage de l'Ombre de Jade, je ne tenais plus sur mes jambes. A part ça, tout va bien.

— Repose-toi, c’est essentiel… Cilghal m’a dit que tu avais repris du poids. Comme elle ne t’a pas trouvé d’autres symptômes physiques, tu pourras partir quand tu voudras. (Leia marqua une pause, laissant à Tahiri l’occasion d’émettre un commentaire. En vain.) Tu crois être prête ?

La jeune femme ne sut que répondre. Elle aurait pu quitter l’infirmerie, mais ce qui l’attendait la terrifiait. Loin d’avoir cessé, ses cauchemars s’aggravaient. Une fois dehors, ils la hanteraient, et il ne faudrait pas longtemps avant qu’elle se retrouve dans un lit d’hôpital, sans pouvoir expliquer ce qui lui arrivait.

Ici, elle se sentait en sécurité. Hélas, les infirmeries étaient réservées aux malades, et elle…

Qu’avait-elle exactement ? Elle l’ignorait, et tout le problème était là.

— Je veux que tu nous accompagnes, dit soudain Leia.

— Vous n’êtes pas sérieuse ?

— Et pourquoi pas ?

Tahiri voulut expliquer ce qui se passait en elle, mais elle ne trouva pas les mots et accoucha d’une excuse piteuse :

— Je ne pilote pas très bien… Et je ne connais rien à la politique.

— Mais tu es un Chevalier Jedi.

— Vous avez déjà Jaina.

— Le colonel Jaina Solo, qui a bien d’autres responsabilités.

Tahiri ne sut qu’objecter. Ces mots, « Tu es un Chevalier Jedi », lui semblaient sonner faux. Cela stimulait sa culpabilité… et le sentiment d’avoir trahi ses amis.

Sans parler de la mémoire d’Anakin.

A-t-il jamais eu de tels doutes ? se demanda Tahiri.

Sûrement pas. Les Solo paraissaient épargnés par cette faiblesse. Toujours sûrs de leurs actes et de leurs pensées, ils allaient de l’avant sans se poser de questions.

A part Jacen… Il avait toujours du mal à définir son rapport avec la Force, et il restait sceptique au sujet du Conseil créé par Luke Skywalker. Avait-elle commis une erreur en ne lui parlant pas alors qu’elle en avait l’occasion ? Hélas, il était loin, à présent.

— Nous avons tous des doutes sur nous-mêmes à un moment ou à un autre, dit Leia, brisant un silence pesant. C’est une caractéristique de l’intelligence, Tahiri. Un être qui ne se pose pas de question sur ses actes, et sur sa personnalité, devient très vite un monstre. J’avais des doutes quand j’ai rallié la Rébellion, il y a tant d’années, et aussi quand j’ai épousé Yan. Le Grand Moff Tarkin, lui, n’a pas eu de tourment de conscience avant de détruire Aldéraan. Alors, n’aie pas honte de t’interroger. C’est normal et légitime…

La jeune femme s’étonna de voir des larmes dans les yeux de Leia – et se demanda si elle les versait vraiment sur sa planète disparue.

— Je crois, Tahiri, que tu mérites une chance de découvrir qui tu es. Et je veux te la donner. Qu’en dis-tu ?

Une chance de découvrir qui tu es…

Jacen avait-il parlé à sa mère ? Etait-ce une sorte de jeu ?

Quand elle croisa le regard de Leia, Tahiri y lut seulement de la sympathie. Non, ce n’était pas un jeu…

Pour nous, tu feras toujours partie de la famille.

Les mots écrits par Jacen…

La notion de famille la bouleversait depuis toujours. Toute petite, après la mort de ses parents lors d’un raid des Hommes des Sables, sur Tatooine, elle avait été enlevée par un Pillard Tusken et élevée par Sliven, qui avait quitté ce monde peu après son admission à l’Académie Jedi. Elle n’avait personne dans l’univers, à part…

Non, se dit-elle en luttant pour chasser l’obscurité qui menaçait de la submerger. Je n’ai pas le droit de penser ça.

— Merci de votre offre, Leia. J’essayerai de ne pas être un fardeau pour vous.

— Tu seras un atout, mon amie. Et tu ignores à quel point.

Un peu de la chaleur de Leia resta en Tahiri après son départ. Mais ça ne dura pas longtemps. Glacée par l’air froid qui venait de la fenêtre, elle la ferma et se recroquevilla sous ses couvertures en tremblant. Sur son front, les cicatrices la torturaient, comme si son crâne était pris dans un étau. Elle sentit qu’il y avait quelqu’un d’autre qu’elle dans la pièce, mais refusa de relever la tête pour voir de qui il s’agissait.

Si je l’ignore, elle finira peut-être par s’en aller…

 

— Dis-m’en plus, demanda Nom Anor en fixant I’pan.

La lumière des flammes dansait sur son visage hagard. Hochant la tête, le réprouvé s’exécuta.

— Alors que leur quête touche à sa fin, le Honteux Vua Rapuung et le Jeedai Anakin Solo sont arrêtés par un autre groupe de guerriers, plus important que le précédent. Un groupe qui a servi sous les ordres de Rapuung en personne avant qu’il ne se couvre de honte.

Ses guerriers défient Rapuung et lui demandent pourquoi il fraye avec un infidèle…

« Je suis au-delà de toute rédemption », répond fièrement Rapuung.

« Nous savons ce que vous prétendez être », lui rétorquent les guerriers.

« Vous me croyez maudit par les dieux ? »

« Maudit ou pas, en tout cas, vous avez sombré dans la folie… Vous combattez vos propres frères aux côtés d’un infidèle ! »

« Rapuung comprend alors pourquoi on le croit dément… A la place des siens, il aurait déduit la même chose ! Mais les circonstances ne lui laissent pas le choix. C’est le seul moyen pour lui de faire triompher la vérité.

« Donc, il défie les guerriers en combat singulier, sans que le Jeedai participe à la lutte, cette fois, afin de prouver toute sa valeur.

Nom Anor plissa le front.

— Ne viens-tu pas de dire qu’il n’avait pas de bâton amphi ?

I’pan confirma d’un hochement de tête. Puis il se leva en gesticulant pour souligner son propos.

— « Prenez votre arme, Rapuung ! », insistent les guerriers. « Ne nous obligez pas à abattre un adversaire désarmé ! »

« Mais Rapuung est déterminé… “Jusque-là, j’ai triomphé sans armes !”, réplique-t-il. “Si les dieux me haïssent tant, pourquoi l’ont-ils permis ?”

« A cela, les guerriers ne trouvent rien à répondre. Ni à opposer aux talents d’un tel adversaire… Avec la bénédiction du Jeedai, Vua Rapuung les vainc tous à mains nues.

Au sein du petit groupe de réprouvés pelotonnés près du feu, Nom Anor écoutait avec la même attention fascinée que les autres. Dans l’histoire qui se déroulait sur un monde conquis, Yavin 4, Vua Rapuung était censément rejeté par les dieux, et il y perdait ses implants. Persuadé d’avoir été trahi par son ancienne maîtresse, la modeleuse Mezhan Kwaad, il cherchait à se venger d’elle… Et rencontrait alors Anakin Solo, qui décidait de le soutenir tout en lui enseignant ses hérésies de Jedi… D’abord très réticent, il avait fini par se laisser convaincre, à la grande horreur de tous ceux qui l’avaient connu…

Même les Honteux ne défiaient pas ainsi les dieux.

Nom Anor ignorait ce qu’il était advenu ensuite. Il avait pourtant étudié les événements de Yavin 4, analysant au passage une hérésie d’un tout autre ordre : celle de la modeleuse Nen Yim, également présente sur les lieux. Mezhan Kwaad et elle avaient tenté de rallier une jeune Jedi à la vision de l’univers des Yuuzhan Vong. L’expérience s’était soldée par un échec. Lors de la fuite du cobaye, Kwaad et le commandant Tsaak Vootuh avaient trouvé la mort.

Nom Anor savait tout cela. Il avait vu des rapports sur certains épisodes qu’I’pan relatait. Dans le système Yag’Dhul, il avait même croisé Anakin Solo. Ses espions lui avaient rapporté les diverses versions de l’histoire qui circulait parmi les castes inférieures. Mais ce qu’I’pan narrait maintenant à ses auditeurs était nouveau pour lui.

— Continue, demanda Niiriit Esh.

L’ancienne guerrière dirigeait la petite communauté souterraine. Et Nom Anor en était venu à tenir les Honteux pour ses compagnons.

I’pan s’accroupit pour reprendre le fil de son récit. Tous avaient les yeux rivés sur lui. Conteur doué, il était visiblement à son aise.

— Le long de la rampe d’accès du navire qui les ramènerait en sécurité, le commandant Vootuh et la modeleuse Mezhan Kwaad sont obligés d’affronter Vua Rapuung et le Jeedai. Au nom de ce qu’il a été, Rapuung demande la permission d’interroger sa maîtresse afin de laver son honneur.

« Je ne vois pas devant moi de “Vua Rapuung”, répond le commandant Vootuh. Seulement un Honteux qui ignore où est sa place. »

« Ce n’est pas à moi de me sentir honteux », dit Rapuung. « Ecoutez le Jeedai, et vous saurez la vérité. » « A ces mots, la modeleuse Mezhan Kwaad affirme que prêter l’oreille aux divagations de Rapuung serait absurde.

« Il se bat aux côtés d’un infidèle », souligne-t-elle. « Qu’y a-t-il de plus à ajouter ? »

« Sortant de la foule qui s’est massée au pied de la rampe, Hul Rapuung, le frère de Vua, avance.

« L’honneur de ce guerrier n’est pas entamé. »

« Craignez-vous la vérité, Mezhan Kwaad ? S’il est fou, quel mal y aurait-il à lui parler ? »

« Kwaad ne trouve rien à répondre. Vootuh, au courant de la perfidie de la modeleuse, permet à Rapuung de lui poser une question. Elle devra répondre en toute sincérité, car le détecteur de vérité l’écoutera.

« Faisant fièrement face à ses détracteurs, Vua Rapuung pose sa question.

Tous étaient suspendus aux lèvres d’I’pan, qui marqua à dessein une longue pause dramatique et laissa son regard flotter sur chaque membre de son auditoire.

— « Mezhan Kwaad », dit Rapuung, « m’avez-vous délibérément volé mes implants et donné l’apparence d’un Honteux ? En êtes-vous responsable, Mezhan Kwaad, ou est-ce un décret des dieux ? »

« La modeleuse garde le silence. Elle est prise au piège, c’est l’évidence même. Tous en ont conscience.

« Il n’y a pas de dieux ! », s’écrie-t-elle…

Se redressant de toute sa taille, I’pan leva les mains pour rendre le cri impie de la modeleuse plus scandaleux encore.

— « Cette chose misérable est mon œuvre ! », jubile-t-elle.

A cette déclaration, tous frémirent. A l’exception de Nom Anor, moins facilement impressionné par le génie théâtral d’I’pan…

Celui-ci baissa les bras.

— Animée par une perfidie pire que tout ce qu’elle avait pu montrer jusque-là, elle tue Vootuh et Rapuung !

Un soupir de déception courut dans le public. Nom Anor comprenait parfaitement… Le Honteux Vua Rapuung venait à peine d’être réhabilité aux yeux de tous, et il était frappé à mort, incapable de se défendre contre les atouts biologiques de la modeleuse.

— Les choses auraient pu en rester là, continua I’pan, sans le Jeedai. Avant de pouvoir fuir, Mezhan Kwaad est abattue par les infidèles, qui défendent l’honneur de Vua Rapuung au mépris de leur vie… Isolés sur Yavin 4, ils sont cernés par les Yuuzhan Vong… Leurs pouvoirs supérieurs – leur Force – ne peuvent plus les sauver…

« Mais alors que d’autres guerriers fidèles aux anciens dieux avancent pour combattre les Jeedai condamnés, un nouveau groupe se dresse devant eux : celui de Hul Rapuung, le frère du Honteux réhabilité. Par respect pour Vua et en mémoire de lui, dit-il, les Jeedai doivent repartir libres. Ne viennent-ils pas de sauver du déshonneur un Yuuzhan Vong ? Ne méritent-ils pas de vivre ?

« Non ! » répondent les tenants de la tradition. « Les Jeedai sont des infidèles qui défient les dieux ! »

« Hul Rapuung désigne alors le cadavre encore chaud de son frère.

« Combien d’entre vous ont combattu à ses côtés ? Qui a jamais douté du courage de Vua Rapuung ? Ou de l’amour que lui portaient les dieux ?

« Furieux, les guerriers des deux camps serrent leurs bâtons amphi…

« Vous allez mourir ! » s’écrient les tenants des traditions. « Et pour quoi ? »

« Pour saluer les Jeedai ! » rugit Hul Rapuung. « Un salut sanglant ! »

« Les guerriers en viennent aux coups… Des Yuuzhan Vong affrontent des Yuuzhan Vong, le progrès se dressant contre la régression… Les bâtons amphi se lèvent et s’abattent sur les armures en crabe vonduun. Les guerriers succombent sous les coups de ceux qu’ils appelaient leurs alliés… En infériorité numérique, les braves qui défendent l’honneur de Vua Rapuung sont exterminés par les fidèles de Yuun-Yuuzhan et de son serviteur, le seigneur suprême Shimrra…

« Mais leur sacrifice n’est pas inutile. Quand les vainqueurs se détournent des vaincus pour abattre les Jeedai, ils découvrent qu’Anakin Solo et son compagnon ont fui.

I’pan but une gorgée d’eau. Fascinés par les événements survenus jadis sur Yavin 4, ses auditeurs gardèrent le silence.

Dévisageant ses compagnons, Nom Anor prit la parole.

— L’hérésie Jedi aurait dû finir là… Mais vous la prolongez, n’est-ce pas ?

Prenant sa place dans le cercle, face au feu, I’pan hocha la tête.

— Tout aurait fini là si des Honteux n’avaient pas été témoins du drame. Ils ont répandu la nouvelle au sein de communautés comme la nôtre. Un autre chemin s’ouvre devant les Honteux et la rédemption devient possible. On nous redonne l’espoir… Et les Jeedai l’incarnent !

Sur cette déclaration, I’pan s’inclina pour signifier qu’il en avait terminé. Même si ses auditeurs avaient dû entendre l’histoire cent fois, ils étaient restés suspendus à ses lèvres, comme s’ils la découvraient. Les Honteux se flanquèrent de grandes claques amicales dans le dos. Deux ou trois s’éloignèrent pour vaquer à leurs occupations.

Leurs camarades dévisagèrent Nom Anor. C’était la première fois qu’il entendait l’histoire dans son intégralité. Quelle serait sa réaction ? S’il se montrait aussi ému qu’eux, il serait indubitablement des leurs. Après deux semaines passées en leur compagnie, pour les aider à s’établir dans leur nouveau foyer, il n’avait toujours pas été entièrement accepté. Et il avait vite appris que la confiance, parmi les Honteux, comptait plus que tout…

Qu’ils aient partagé ce récit avec lui était un signe encourageant.

A travers les flammes qui repoussaient à peine les ténèbres, Niiriit Esh observait attentivement l’ancien exécuteur. Ne sachant pas lui-même ce qu’il ressentait vraiment, il soutint son regard. Sans l’ombre d’un doute, l’histoire différait de celle qu’il avait découverte lors de ses recherches sur « l’hérésie de Yavin 4 ». Par moments, la chronologie était erronée, certains propos étant attribués à des gens qui ne les avaient jamais prononcés. L’essence même du récit s’en trouvait altérée.

Pourtant, l’histoire restait bouleversante, et Nom Anor n’y était pas plus insensible que les autres. C’était pour ça que l’hérésie se répandait si vite en dépit de tout. Averti que les Honteux de Yavin 4 sympathisaient avec les Jedi, le seigneur de guerre Tsavong Lah avait ordonné leur sacrifice.

Et pourtant, cette lèpre d’un nouveau genre continuait de gagner du terrain…

Un point particulier stupéfiait Nom Anor. Alors qu’il avait étudié les faits, et eu accès aux archives d’origine, il ne s’était pas souvenu, jusqu’à cet instant, du guerrier disgracié par lequel tout était arrivé. Rapuung, un Honteux de plus trahi par son ancienne maîtresse. Elle avait redouté qu’il informe ses supérieurs de ses conceptions hérétiques. Mais elle avait sombré dans l’oubli, alors que lui…

Tous les Honteux de la galaxie se murmuraient aujourd’hui son nom !

Ses actes avaient redonné l’espoir à ses compagnons de misère. Vua Rapuung était une légende.

Au même titre que les Jedi…

— Vous êtes ému, je le vois, dit Niiriit. Vous comprenez maintenant pourquoi nous menons une vie pareille ?

L’ancien exécuteur hocha la tête. Pour la première fois, en effet, il comprenait qu’il y avait davantage dans tout cela qu’un simple choix philosophique – la misère noire plutôt que l’indignité…

— Un message impressionnant… (Il regarda I’pan.) Comment l’avez-vous appris ?

— Un de mes camarades de travail m’en a parlé le premier, sur Duro… Varesh le tenait d’une sœur de clan qui le tenait d’une de ses amies venues de Sriluur. Depuis, je l’ai entendu raconter de nombreuses fois par bien des gens – avec des variantes, bien sûr. (Sans l’excitation du récit pour le porter, I’pan redevenait maladroit et emprunté.) La version que je viens de raconter est une parmi bien d’autres…

— Alors comment être sûr que c’est la vérité ? demanda Nom Anor.

— C’est impossible, admit I’pan. Je n’ai aucun moyen de savoir si la version que je viens de vous livrer est plus crédible que les autres. Mais elle sonne vrai à mes oreilles.

Ses compagnons murmurèrent leur assentiment. A la lumière rougeâtre du feu, Nom Anor les vit perdus dans leurs pensées, imaginant les scènes décrites par I’pan. La petite communauté voulait que tout soit vrai. C’était une évidence. S’il y avait eu de l’espoir pour Vua Rapuung, il y en aurait peut-être aussi pour eux. Mais dans quelle mesure ? De quelle façon ? Nom Anor l’ignorait. Les Honteux attendaient-ils que les Jedi viennent les arracher à leur sordide existence ? Ou croyaient-ils, en imitant les abominables caractéristiques ennemies, qu’ils deviendraient dignes de leur Force grotesque ?

— Eh bien ? s’impatienta Kunra.

Un peu à l’écart du cercle, l’ancien guerrier se méfiait toujours de Nom Anor, même s’il avait tout fait pour être accepté.

— Qu’en dites-vous, exécuteur ?

Nom Anor chercha le regard de Niiriit… et trouva impossible de rester indifférent à sa passion.

— Ce que j’en dis ? Merci, I’pan, d’avoir partagé cela avec moi… Que tu m’en juges digne m’honore. Dès que l’occasion se présentera, j’aimerais beaucoup en apprendre davantage sur Vua Rapuung et les Jedi.

Niiriit sourit. Nom Anor lui rendit son sourire, surpris par sa propre sincérité. Dans ce refuge souterrain, seule la guerrière avait l’esprit assez vif pour l’intéresser. Depuis son arrivée, il appréciait les conversations qu’il avait avec elle.

Kunra grogna de dédain et s’éloigna du feu pour retourner dans l’ombre. Etait-il jaloux de l’arrivée dans leur communauté d’un rival apte à prendre sa place ? Une réaction classique, mais stupide, si c’était le cas…

Crever publiquement l’abcès ne serait peut-être pas une mauvaise chose.

— Tu ne veux pas de moi, n’est-ce pas, Kunra ? lança Nom Anor. Tu ne me juges pas digne…

Kunra s’immobilisa et se retourna, sur la défensive.

— Disons simplement que je réserve mon jugement, exécuteur. C’est mon droit.

— Ton jugement à mon sujet ?

Kunra confirma d’un hochement de tête.

— Je n’étais pas d’accord pour qu’on vous confie l’histoire de Vua Rapuung. C’est notre unique motif d’espérance. Croire que le mode de vie Jeedai est meilleur – pour tous et pas seulement pour les victimes des anciens dieux – nous aide à tenir le coup quand la logique nous pousse à désespérer de tout. Un jour, grâce à cette foi, nous aurons la chance de retrouver notre dignité et de nous arracher aux trous puants où nous nous terrons. Mais vous… A la première occasion, j’en suis sûr, vous piétineriez tout ça pour vous hisser de nouveau au pouvoir !

— Insinuez-vous que je serais prêt à vous trahir ? Vous qui m’avez secouru et accueilli ?

Kunra se raidit. Le reflet des flammes dansait sur ses cicatrices.

— C’est exactement ce que je dis.

L’exécuteur se leva à son tour. Plus âgé et moins costaud que Kunra, Nom Anor ne pouvait plus reculer. Sinon, il donnerait raison à son accusateur. Il n’avait pas le choix. S’il n’arrivait pas à éviter un duel – et sans ce genre de talent diplomatique, il n’aurait pas survécu longtemps à la cour de Shimrra –, il resterait le plaerin bol.

S’il ne s’était pas trompé sur le compte de la chef des Honteux…

Niiriit s’interposa.

— Je l’interdis !

— J’ai le droit de le défier ! grogna Kunra.

— Je croyais que nous avions tourné le dos à la tradition, répliqua Niiriit. Et tu voudrais y revenir ?

— Je sais, mais…

— Il n’y a pas de « mais », Kunra ! Alors ? Tu es avec nous ou contre nous. Idem en ce qui vous concerne, Nom Anor. Nous sommes trop peu nombreux pour nous entre-tuer.

L’exécuteur inclina la tête, histoire de cacher son sourire triomphant. Non, il ne s’était pas trompé sur le compte de la chef des Honteux…

— Toutes mes excuses…

Il se tourna vers celui qui le défiait. Jouer les pacificateurs était une nouveauté, même s’il n’était pas un néophyte en matière de comédie. Par le passé, il avait interprété plus d’un rôle…

— Te méfier de moi est ton droit, Kunra. Plutôt que de t’affronter, je propose de te convaincre que tu n’as aucune raison de mal me juger. Pourrions-nous conclure une trêve ?

— Pour l’instant…, lâcha le guerrier de mauvaise grâce.

Niiriit hocha la tête.

— Bien. Asseyez-vous, tous les deux. Vous me fatiguez…

— A vrai dire, avoua Nom Anor, j’aimerais me retirer pour la nuit. Vous m’avez donné matière à réflexion, et je n’ai plus la jeunesse de notre ami…

— Bien sûr, répondit Niiriit. Dormez bien. Nous reparlerons des Jeedai.

— Je l’espère, fit l’exécuteur en lançant un coup d’œil à Kunra.

L’ancien guerrier restait maussade. Mais Niiriit avait réussi à désamorcer la bombe. Une bonne chose, car il n’avait aucune envie de recevoir un coup de couteau dans son sommeil. Après un signe de tête aux autres, blottis autour du feu, il approcha du puits et descendit la rampe en colimaçon que les réfugiés y avaient creusé. L’inclinaison n’était pas très prononcée, et la courbure du conduit était telle qu’il faisait un tour complet tous les trente mètres environ. Le chuk’a y avait aménagé des alvéoles qui servaient d’habitations ou d’entrepôts. A la lumière des lambents, Nom Anor eut l’impression de descendre au cœur d’un gigantesque coquillage…

Il entra dans sa chambre. Dernier arrivé, il s’était vu attribuer les quartiers les plus récemment aménagés. Une odeur caractéristique flottait dans l’air, due aux procédés organiques de construction. L’ameublement se réduisait au strict minimum : un coffre sphérique taillé dans un œuf de chuk’a et un matelas de fortune. Mais depuis son arrivée dans les entrailles de Yuuzhan’tar, c’était ce qu’il avait trouvé de moins inconfortable.

D’un geste, il désactiva l’éclairage et s’allongea sans enlever son uniforme et sa cape en lambeaux.

Nom Anor n’avait pas menti en disant avoir matière à réflexion. Il n’aurait jamais rêvé entendre l’histoire de Vua Rapuung et des Jedi dans les profondeurs de Yuuzhan’tar. Ces étranges récits frappés d’interdit qui circulaient de bouche à oreille lui rendaient l’espoir. Pour satisfaire la nécessité vitale d’avoir un but, les Honteux auraient pu s’inventer une foi qu’aucun élément ne venait étayer. Mais l’histoire de Vua Rapuung s’appuyait cependant sur des faits véridiques…

Les Jedi ne sont pas nécessairement des êtres abominables… Au fond, ils tuent aussi aisément qu’ils apportent la rédemption…

Dans son ancienne position, Nom Anor n’aurait jamais eu vent de cette hérésie. Shimrra n’imaginait pas à quel point elle le frappait près du cœur. Si l’ancien exécuteur remontait jusqu’à la source de ces rumeurs, et traînait en justice le premier responsable de leur propagation, il retrouverait peut-être son statut.

Et il serait plus puissant que jamais.

Merci, Vua Rapuung, de me redonner espoir.

Il sourit en repensant aux accusations de Kunra… Non, il n’hésiterait pas une seconde à trahir les Honteux si ça pouvait l’aider à atteindre ses objectifs…

Une seconde ? Moins que ça encore !

 

— Voyons, tu n’es pas sérieuse, Leia !

Jaina soupira, exaspérée de surprendre ses parents dans une de leurs sempiternelles disputes. Celle-là semblait concerner l’itinéraire de la mission. Penchés sur des cartes, ils se chamaillaient comme des enfants.

— Il faut bien partir de quelque part, insista Leia. Pourquoi pas de là ?

— Ne devrait-on pas jouer ça à pile ou face, plutôt que de s’en remettre à un message anonyme ?

— Que se passe-t-il ? demanda Jaina.

— Une bonne âme s’est infiltrée dans les ordinateurs de bord et nous a laissé des instructions pour que nous foncions tête baissée dans la gueule du loup ! grogna Yan. Et ta mère y voit un bon présage !

— Ravie de constater que tu ne t’abaisses pas à ironiser ! répliqua Leia, sardonique. Je l’admets, c’est très suspect, mais ça me rend d’autant plus impatiente d’aller y voir de plus près.

— Absurde ! explosa Yan. Tu veux vraiment nous faire tous tuer ?

— Ça n’a rien d’absurde… L’Alliance Galactique a perdu le contact avec l’Amas de Koomacht. Il faut bien que quelqu’un enquête. N’est-ce pas notre ordre de mission ? Alors, où est le problème ?

— Où est le problème, dis-tu ? Nous n’avons plus de nouvelles de Galantos et de Whettam parce que les Yevethas ont profité de nos ennuis pour recommencer leurs attaques… Et tu voudrais qu’on fonce dans la mêlée à la tête d’une poignée d’ailes X et d’une frégate rouillée ? Voilà le problème, Leia !

En entendant son père parler de l’Escadron Soleils Jumeaux comme d’une « poignée d’ailes X », Jaina se hérissa. Mais elle n’intervint pas. Ses parents avaient besoin de s’expliquer. Mieux valait ne pas monter en première ligne…

Les bras croisés, Leia se redressa de toute sa hauteur. Le message était limpide : battre en retraite n’entrait nullement dans ses intentions.

— Joli discours, dans la bouche de Yan Solo… Tu as d’autres suggestions ?

— Naturellement ! grogna Yan, qui perdait déjà de sa superbe. Pour ce qui concerne Corellia, nous en sommes toujours réduits aux conjectures. Sans parler du Secteur Corporatif, pratiquement voisin de Mon Calamari, et de…

— Le Sénat n’a donc aucun besoin de nous envoyer en reconnaissance, c’est ça ?

— Leia, tout, mais pas N’zoth !

Dans le dos de son mari, l’ancienne Présidente n’affichait plus la même détermination. Jaina comprit pourquoi. Horriblement xénophobes, les Yevethas avaient kidnappé Yan Solo, le torturant pendant des semaines. L’affaire remontait à quelques années. Si Chewbacca et son fils, Lumpawarrump, ne l’avaient pas délivré, Yan aurait succombé à ses blessures.

— Aux dernières nouvelles, leurs chantiers navals étaient fonctionnels, dit Leia, adoptant un ton plus diplomatique. Ces ingénieurs d’élite s’opposeront aux Yuuzhan Vong – si le conflit n’est pas déjà commencé.

— Puis ils se retourneront contre nous, lâcha Solo en faisant de nouveau face à sa femme. Ils s’attaqueront aussi aux Fia, à supposer qu’ils n’aient pas été exterminés… Pourquoi ne pas envoyer des agents de la Guilde des Contrebandiers ?

— Pour agir au nom de l’Alliance Galactique, il nous faut des gens de confiance, Yan, pas des types intéressés par le profit.

Solo voulut protester. Mais sur ce point, il n’aurait pas raison. Il le savait.

— Ecoute, Yan, j’ai débattu de tout ça avec la capitaine Mayn et…

— Tu en as parlé à Todra avant de me consulter ?

— … Et ce n’est plus comme la dernière fois. Plus question d’affronter les Yevethas. S’ils nous défient, nous repartirons, et voilà tout.

— Entendu… De ton point de vue, ça n’est pas idiot. La situation est explosive, et nous devrons limiter la casse en nous assurant que le feu ne se propage pas. Parfait. Mais si Jaina était faite prisonnière ? Ou toi ?

— Papa, intervint la jeune femme, je sais me débrouiller seule.

Face à son épouse et à sa fille, Solo prit conscience que les dés étaient lancés. Le front plissé, il les désigna l’une et l’autre d’un index impérieux.

— Très bien ! Comme vous voudrez ! Mais souvenez-vous que ce n’était pas mon idée !

— Au premier pépin, tu te feras une joie de nous le rappeler…

Souriant, Leia embrassa son mari sur la joue avant de se remettre au travail. Il restait beaucoup de détails à régler avant le départ. Mais des bruits de botte résonnèrent dans la passerelle d’accès.

— Il y a quelqu’un ? appela une voix.

— En bas, Kenth !

Kenth Hamner se baissa légèrement pour entrer dans la petite salle de réunion du Faucon Millenium.

— Je savais bien que je vous trouverais là…

Voyant son air sombre, Leia vint lui poser une main sur l’épaule.

— Qu’y a-t-il, Kenth ? Que s’est-il passé ?

— Non ! Pas Kashyyyk… ! souffla Yan en pâlissant.

Depuis peu, les Yuuzhan Vong menaçaient la planète des Wookies.

— Non, heureusement… Nous venons d’apprendre que les Vestiges de l’Empire étaient à leur tour attaqués. Bastion et Muunilinsk ont été ravagés. Dès que les territoires vaincus passeront sous le contrôle de l’ennemi, l’offensive devrait viser Yaga Minor. Le réseau subspatial et l’HoloNet sont en panne. (Leia ouvrant la bouche, il se tourna vers elle et la prit de vitesse, comme s’il savait déjà ce qu’elle allait dire.) Hélas, nous ignorons s’il y a des survivants.

— L’Ombre de Jade a donc volé vers une zone de combats…

— Son capitaine n’avait aucun moyen de le savoir, dit Yan. La poisse intégrale…

— Nous devons espérer que son équipage a pu s’en tirer…, dit Hamner. Si vos amis ont réussi à filer avant d’être attirés dans la bataille, leur mission n’est pas compromise.

Yeux clos, Jaina fit appel à la Force pour contacter son frère jumeau. La distance qui les séparait était astronomique. Mais ils avaient réussi à communiquer par-delà des gouffres cosmiques plus vertigineux encore.

Si elle ne reçut pas de réponse à ses appels, elle capta néanmoins un écho.

— Jacen est en vie, annonça-t-elle.

— S’il était arrivé malheur à Luke, je l’aurais senti, dit Leia. Mais… et les autres ? Et l’Empire ? Si les Yuuzhan Vong sont passés à l’attaque, le quadrant entier n’est plus sûr. La flotte de Bastion vaincue, ils s’enfonceront dans les Régions Inconnues sans rencontrer de résistance. Désormais, nous ne serons plus en sécurité nulle part.

— Même les Chiss ne le seront plus, renchérit Jaina.

— Si l’Empire tombe, souligna Hamner. Il est trop tôt pour se prononcer. Il s’agit peut-être d’une frappe préventive, afin de nous dissuader d’utiliser les Vestiges Impériaux comme base arrière…

— C’était notre intention, justement, lâcha Yan.

— Une frappe préventive n’est pas forcément décisive, rappela Hamner. Les Vong ont trop élargi leur front. Monter une attaque de ce genre a dû beaucoup leur coûter. Ils ont forcément dégarni d’autres positions.

— Nous devrions peut-être appliquer notre tactique de guérilla à plus de secteurs, dit Leia. Histoire de les inciter à se retirer…

Hamner hocha la tête.

— Cal et Sien s’y emploient en ce moment même. Les malheurs de l’Empire feront au moins taire les hystériques qui réclament à corps et à cri une guerre totale…

— Je déteste ne pas savoir ce qui est arrivé à l'Ombre de Jade, dit Leia. On ne peut même pas lui porter secours !

— C’est en partie la raison de ma venue, fit Hamner. Cal m’envoyait m’assurer que vous ne vous lanceriez pas dans une opération de sauvetage. Nous avons besoin de vous là où vous serez le plus utiles.

— Il a raison, Leia, renchérit Yan. Luke et Mara s’en sortiront très bien sans nous.

— Jacen n’est pas empoté non plus, maman, ajouta Jaina avec un sourire qui se voulait rassurant. Dans un jour ou deux, à eux trois, ils auront renvoyé les Yuuzhan Vong d’où ils viennent !

— Vous avez raison, naturellement…, admit Leia. Il faut prendre du recul et envisager la situation sous tous ses angles. Tant que nous n’aurons pas plus d’informations, continuons comme prévu. En route pour l’Amas de Koomacht !

— Mais où avais-je la tête ? s’exclama Yan. S’il n’est pas trop tard pour changer d’avis, j’aimerais voter pour Bastion. Foncer sur une armada yuuzhan vong sera toujours préférable à la moiteur obscure d’une cellule de Yevetha !

Leia en retrouva presque le sourire.

— Tu seras jeté en prison, mais pour avoir désobéi aux ordres !

— Ceux de qui, au juste ? protesta Yan avec une indignation feinte. Je suis le capitaine et le seul maître à bord, tu te souviens ?

— Tu n’arrêtes pas de te le rappeler, mon chéri.

Voyant que la conversation revenait à des chamailleries bon enfant, Jaina laissa ses parents s’amuser. Elle leur enviait leur facilité à communiquer. La mort de Chewbacca et d’Anakin semblait avoir encore renforcé leurs liens. Malgré la vivacité de leurs reparties, ils s’entendaient à merveille.

Plongée dans ses pensées, la jeune femme ne vit pas C-3PO débouler d’une coursive et foncer sur elle… Avec un petit cri de détresse, le droïd doré recula et trébucha sur une caisse. Les droïds-souris qu’il lâcha s’éparpillèrent à la ronde. Perturbés, certains couinèrent aussi de désarroi…

Jaina attrapa C-3PO par les aisselles et l’aida à se relever.

— Merci, maîtresse Jaina ! Sales bestioles ! Pourquoi le capitaine Solo en veut-il autant ? Ça me dépasse !

La jeune femme voulut rattraper une « bestiole » au passage, mais la pseudo-souris lui échappa.

Sa tentative suivante se solda aussi par un échec, le mini-droïd lui filant entre les jambes.

— Ces droïds sont programmés pour démasquer les Yuuzhan Vong. Où que nous allions, grâce à eux, nous aurons la certitude de ne pas avoir d’espions dans les pattes !

Jaina venait de coincer un droïd-souris et de le retourner sur le dos. Elle appuya sur la touche de désactivation avant de donner la « bestiole » inanimée au droïd doré.

— Et voilà le travail…

— Encore merci, maîtresse Jaina. Mais vous ne devriez pas perdre votre temps avec ça. Vous avez sûrement mieux à faire.

— Pas vraiment, répondit la jeune femme. (Un croc-en-jambe piégea une autre pseudo-souris.) Et c’est ma faute, qui plus est…

Quand Kenth Hamner, de retour de son entrevue avec les Solo, repassa par là, il se joignit à l’opération « récupération ». Son allonge compensa le manque d’agilité dû à l’âge. En quelques minutes, l’affaire fut réglée.

C-3PO s’éloigna, de nouveau chargé des petits droïds, et disparut dans la coursive.

— Merci, Hamner, dit Jaina.

— Tout le plaisir était pour moi, répondit le Jedi en s’époussetant. (Alors que la jeune femme allait partir, il ajouta :) Entre nous soit dit, Cal s’inquiète davantage à propos de l’Empire qu’il ne veut bien l’admettre… Si tu as des nouvelles par Jacen, tu nous préviendras, n’est-ce pas ?

Décontenancée par le ton de conspirateur de Hamner, Jaina fronça les sourcils.

— Naturellement.

Non sans hésiter, le Jedi eut un petit hochement de tête puis continua son chemin.

Jaina entendit quelqu’un approcher… Ses parents étaient-ils à sa recherche ?

Deux secondes plus tard, Yan beugla un juron et de petits objets métalliques tombèrent sur le sol en couinant…

— Ciel…, gémit C-3PO.

— Saloperies ! rugit Yan Solo en voyant les droïds-souris filer en tout sens.

 

Gilad Pellaeon avait vu trop de jeunes gens mourir pour penser que l’âge était une raison particulière de rendre l’âme…

La mémoire lui revenait par à-coups. Sa vie se fragmentait, devenant kaléidoscopique… Comment recomposer ce puzzle ? Il revoyait des images de son lieu de naissance, Corellia, et de Coruscant, où il avait grandi. Mais elles étaient enfouies sous les centaines d’autres souvenirs que lui avaient laissés ses voyages, d’un bout à l’autre de la galaxie.

Il avait passé près d’un siècle à sillonner l’espace, posant rarement le pied sur la terre ferme. Au fond, il ne considérait aucune planète comme sa patrie. Pas même Coruscant, qu’il avait toujours été ravi de quitter.

Ce qui se rapprochait le plus d’un foyer, à ses yeux ? La passerelle d’un vaisseau spatial… Et il avait trop bourlingué pour se sentir véritablement chez lui à bord d’un astronef plutôt que d’un autre. Dans ces conditions, il n’avait d’affection pour aucun bâtiment. Et même le Chimaera, le destroyer qui l’avait si fidèlement servi, était pour lui un navire comme un autre…

Perplexe, il fronça les sourcils. Comme le reste de sa vie, la bataille de Bastion surnageait à la surface de son esprit sous la forme de fragments incompréhensibles…

A part un souvenir, terriblement précis. L’image du corail skipper qui éperonnait la proue du Chimaera…

Après… Plus rien.

Comment Gilad Pellaeon avait-il survécu ? Il avait beau fouiller dans sa mémoire, aucun indice ne venait éclairer les ténèbres. Il n’y avait qu’obscurité et douleur.

Le même phénomène le privait de ses souvenirs d’enfance. Il était né avant l’avènement de l’Empire et de sa propagande xénophobe, avant la chute des Jedi, et même avant la venue au monde de Dark Vador.

Gilad avait obtenu son premier poste dans l’armée à quinze ans – en mentant sur son âge. De sa position privilégiée, sur la passerelle d’un vaisseau, il avait vu d’innombrables tempêtes emporter des personnages de premier plan. Vite converti à une approche cynique des choses, il avait appris à compter uniquement sur lui-même et à se fier à ses propres jugements. Le secret de sa survie, face à tant de bouleversements… Rarement en première ligne pour mener la charge, Gilad Pellaeon avait su, sa vie durant, rester à l’écart. Il se bornait à veiller sur ses hommes, bien nourris et bien entraînés, s’assurant surtout de leur moral. Le Grand Amiral respectait ceux qui servaient sous ses ordres. Il était même capable de respecter ses ennemis.

A la réflexion, c’était pour ça qu’il était toujours en vie, quand tant d’autres autour de lui avaient disparu…

On ne savait jamais quand un adversaire d’hier pouvait devenir un allié… ou un chef.

C’était le problème avec les Yuuzhan Vong, qui ne fonctionnaient pas ainsi. Sur Ithor, Gilad avait vu de ses yeux de quoi ils étaient capables. L’envahisseur n’avait rien épargné à cette planète.

Ensuite, Pellaeon s’était battu pour convaincre les Moffs de défendre la galaxie. Répugnant à s’allier à la Nouvelle République, ils avaient préféré rester dans leur coin et regarder les mondes voisins tomber les uns après les autres entre les mains des Vong…

Cette arrogance avait provoqué la catastrophe de Bastion.

Bastion…

Pellaeon se souvint des premières alarmes qui avaient retenti quand les coraux skippers et les étranges grands vaisseaux ennemis étaient apparus dans le système stellaire pour balayer les défenses planétaires… La surprise avait été totale. La désorganisation de la Flotte Impériale, face aux scarabées creuseurs, avait épouvanté Gilad.

Après Ithor, il avait fait de son mieux pour préparer l’Empire à une offensive des Yuuzhan Vong, mais seul le Chimaera avait réagi assez vite et efficacement.

Il n’aurait pu exiger plus de son équipage.

Une violente douleur lui déchira les entrailles – comme si on lui enfonçait un pieu dans le flanc…

Fou de souffrance, il ouvrit la bouche et cria. Fidèle à sa nature, il chercha aussitôt le moyen d’apprivoiser la douleur, mais rien ne semblait pouvoir le soulager.

Rien, sinon une petite voix…

Peu importait ce qu’elle disait. Au moins, elle faisait diversion.

Mais le mal fondit de nouveau sur sa proie.

Gilad se souvint… Les armes meurtrières des Yuuzhan Vong pilonnaient son vaisseau… les chasseurs Tie explosaient…

Puis ces visions du passé retournèrent au néant et les étoiles brillèrent de nouveau dans l’infini du cosmos. Une image familière dont Pellaeon avait cru ne jamais pouvoir se lasser. A ses yeux, le concept d’« empire galactique » était risible quand on songeait au vide abyssal qui séparait les planètes les unes des autres. Un empire composé de néant, en somme… Les planètes, les lunes et les astéroïdes n’étaient guère plus qu’une poignée de sable jetée dans un océan de vide… Quel empereur se serait rengorgé de régner sur pareil océan ?

Et comment s’appropriait-on le vide ?

Pourtant, cette fois, Pellaeon sentait que quelque chose était différent. La galaxie ne lui semblait plus si… vide.

Quelque chose…

Les mots lui manquaient. Une toile, peut-être, aux fils tendus de systèmes en systèmes. Un halo. Un courant caché sous la surface des choses…

Une vérité ?

En tout cas, la galaxie paraissait soudain vivante.

Gilad sentit les ténèbres l’envelopper de nouveau, le privant de tout ce qui faisait de lui l’homme qu’il était… Il combattit, car on ne se refaisait pas… Mais au fond, il en fut plus soulagé qu’autre chose. Il combattait la mort depuis si longtemps qu’il en avait oublié de vivre. Sa famille ? Il n’en avait pas. Son foyer ? Il n’était nulle part chez lui.

A quoi bon s’obstiner quand on n’avait aucune raison d’exister…

Quand le néant s’ouvrit sous ses pieds, il s’y abandonna. Un fluide avait envahi ses poumons sans qu’il se noie.

Du bacta… On m’a plongé dans une cuve bacta

La petite voix chuchota de nouveau :

— Gilad Pellaeon… Grand Amiral… Vous m’entendez ?

Le vieil homme lutta pour former des mots… Il avait l’impression de tomber dans un puits sans fond, ou d’être empêtré dans des algues marines.

— Je…

— Est-ce vous, Grand Amiral ? Pouvez-vous me répondre ?

— Je… suis là…

A chaque mot, il lui semblait repousser les ténèbres.

Et avec leur départ, la souffrance revint.

— Je… j’ai mal !

— Je sais.

— Où… êtes-vous ?

Il aurait voulu savoir où il était… Mais demander où se trouvait son interlocutrice lui parut plus pertinent.

— J’ai installé une sonde neurale dans votre oreille interne. Ma voix vous parvient directement à travers votre nerf auditif. Veuillez pardonner cette intrusion, mais il a fallu prendre des mesures radicales pour vous garder en vie.

— Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Tekli, et je suis une guérisseuse.

— Etes-vous en train de… me soigner… ou me tuer ?

— La souffrance est inévitable. La seule façon d’y échapper, à ce stade, serait de mourir. Mais peu importent les protestations de votre corps, vous ne devez pas renoncer.

— Je… ne peux pas…

— C’est faux. Nous avons besoin de vous. Si vous mourez maintenant, beaucoup d’innocents vous suivront dans la tombe… Je ne laisserai pas cela arriver !

Gilad n’avait pas l’habitude qu’on lui parle sur ce ton. On eût dit qu’une maîtresse d’école patiente et obstinée lui faisait la morale.

— Vous ne laisserez pas… ?

— Désolée. Parfois, nous devons tous souffrir afin de survivre. Comme vous, maintenant… La Force l’exige.

Soudain, Pellaeon comprit.

La Force…

Tekli était une Jedi ! Mais que fabriquait-elle dans les Vestiges de l’Empire ? Et où… ?

Un autre souvenir lui revint. Peu avant de tenter de s’arracher à l’ombre de la géante gazeuse, il avait parlé aux Skywalker, près de Bastion… Et ils lui avaient décrit des nouvelles tactiques qui, pensaient-ils, l’aideraient à combattre les Yuuzhan Vong.

Tekli devait les avoir accompagnés.

Mais que faisait-il là avec elle ? Le Supérieur était détruit. Gilad se rappelait avoir ordonné l’évacuation du vaisseau qui allait s’abîmer au cœur de la géante gazeuse… Comment le Chimaera aurait-il évité le même sort ? Si l’amiral avait été évacué par son équipage – et que ses hommes n’aient pas survécu –, il ne pourrait plus se regarder en face. Un bon capitaine sombrait avec son navire…

Il aurait dû être mort.

— Vous êtes bien vivant, intervint Tekli avec une fermeté mêlée de compassion. Comme je disais, je ne vous laisserai pas mourir. Le Chimaera et vous êtes un peu mal en point, mais il n’y a rien d’irréversible. Tenez bon, d’accord ?

Dents serrées, Gilad se résigna à vivre.

Encore un peu…

Avait-il le choix ?

 

Quand Jacen sentit refluer la tension de la guérisseuse chadra-fan, il se pencha en avant, impatient.

— Il se bat avec nous, plus contre nous, dit Tekli, sa voix douce couvrant à peine les bourdonnements mécaniques de ses droïds assistants.

— Tu es certaine qu’il survivra ?

De l’agacement dans les yeux, la guérisseuse se tordit le cou pour croiser le regard du jeune homme.

— Oui, répondit-elle en toute simplicité. A condition qu’on ne m’interrompe plus… J’ai besoin de me concentrer.

Tête baissée, Tekli mobilisa tous ses talents pour guérir le Grand Amiral de la Flotte Impériale. Autour d’elle, Jacen captait des fluctuations dans la Force. Il recula pour ne plus risquer de distraire la guérisseuse. Les Chadra-Fan étaient connus pour leurs difficultés à se concentrer. Inutile d’ajouter au problème…

Jacen resta néanmoins à proximité, histoire de compenser s’il le fallait son manque de puissance dans la Force. Mais il alla se placer au fond de la petite infirmerie pour ne pas être dans les pattes de la guérisseuse.

Sorti de la cuve bacta, Pellaeon était maintenant allongé sur la table d’opération, entouré du droïd médical 2-1B de la frégate et de Tekli. L’éclairage vif faisait cruellement ressortir ses blessures. Jacen en voyait assez pour mesurer à quel point cet homme avait frôlé la mort. Les hanches presque écrasées, l’abdomen perforé…

C’était arrivé quand un chasseur ennemi avait éperonné la proue du Chimaera, projetant le Grand Amiral contre une console de commande… Un de ses lieutenants l’avait dégagé et traîné à bord d’une frégate où avaient pris place les survivants du Supérieur. Avec le destroyer à l’agonie en guise de bouclier, la frégate avait pu s’échapper – grâce au sacrifice d’une dizaine de chasseurs Tie.

Pour le pilote de la navette qui avait amené Pellaeon vers Yaga Minor, l’effort en avait valu la peine.

Au début, ces sacrifices avaient pourtant semblé vains, car le Grand Amiral était à l’article de la mort… Evaluant avec une remarquable rapidité la gravité de la situation sur Yaga Minor, le pilote avait contacté Yage plutôt que son supérieur direct. Yage avait ordonné que la navette s’arrime aussitôt au Faiseur de Veuves pour qu’on y transfère le patient. Dès son arrivée, emmailloté dans un cocon de survie, Pellaeon avait été confié à la Chadra-Fan.

Jacen s’en émerveillait encore… Le Grand Amiral était passé à un souffle de la mort ! Pour commencer, l’extraire du cocon avait entraîné un arrêt cardiaque. Ensuite, quand on l’avait plongé dans le bacta, son métabolisme n’avait pas réagi comme il l’aurait dû. Tekli avait ordonné qu’on l’en retire afin qu’elle puisse soigner ses blessures les plus graves. Sous les lumières blanches, le vieil homme allongé sur la table d’opération avait paru se dégonfler à vue d’œil et perdre de sa substance… jusqu’au moment où il avait enfin réagi au traitement.

Le pilote de la navette qui avait sauvé l’amiral était resté à ses côtés. Le jeune homme, Vitor Reige, paraissait épuisé. Blessé au bras gauche, il refusait d’être soigné tant que l’état de Pellaeon ne se stabiliserait pas.

Après quelques minutes, la condition du patient s’améliorant, Reige soupira de soulagement, comme s’il avait retenu sa respiration.

Il se tourna vers Jacen.

— Il m’a demandé de vous contacter. Avant de s’évanouir, il a insisté, au cas où vous seriez ici.

— Parce qu’il pensait que nous le sauverions ?

— Il voulait vous exprimer notre gratitude. Si quelqu’un devrait en vouloir à l’Empire, c’est bien vous. Pourtant, vous nous avez tendu la main, et il y était très sensible. Nous le sommes tous. Je ne serais plus là si vous n’aviez pas risqué vos vies pour nous montrer comment combattre ces…

Reige ne finit pas sa phrase. Le souvenir de la dernière bataille restait trop vif dans son esprit.

Sensible à son embarras, Jacen changea de sujet : il désigna le bras blessé que le jeune homme serrait contre sa poitrine.

— Vous devriez vraiment vous faire soigner. (Avant que le pilote puisse protester, le Jedi ajouta :) Il s’en tirera. Tekli veillera sur son rétablissement…

Vitor Reige hocha la tête.

— Vous nous avez sauvés, l’amiral et moi. J’aurai toujours une dette envers vous…

Jacen aurait voulu répondre qu’il ne croyait pas aux dettes. Les gens, selon lui, devaient agir au mieux en fonction des circonstances sans s’embarrasser d’obligations. Mais à cet instant, Tekli approcha d’eux.

— Pour le moment, je ne peux rien de plus. (Elle haussa les épaules.) Maintenant, c’est à lui de se battre et de bien réagir au bacta…

Les droïds médicaux manœuvrèrent pour replonger Pellaeon dans la cuve. Comme dans un rêve, l’amiral frémit. Le fluide thérapeutique entra en action. Dans son inconscience, Pellaeon parut s’abandonner à son étreinte.

Convaincue qu’elle ne pouvait rien faire d’autre dans l’immédiat, Tekli s’apprêta à quitter les lieux. L’aidant à porter ses affaires, Jacen l’escorta hors de l’infirmerie. Le droïd soignerait Reige.

En sortant, ils découvrirent la capitaine Yage, occupée à faire les cent pas. Dès que les portes s’ouvrirent, elle s’arrêta et riva un regard anxieux sur Jacen.

— Il vivra.

— Je n’y croyais pas… (Yage baissa les yeux sur la Chadra-Fan, respectueusement campée un pas derrière le Jedi.) Je suis navrée d’avoir douté de vous. Soyez certaine que mon équipage se joint à moi pour vous remercier d’avoir sauvé notre chef.

La Chadra-Fan inclina la tête.

— J’aurais mauvaise grâce à m’en attribuer tout le mérite. La détermination du Grand Amiral y est pour beaucoup. Quand un patient veut vivre, tout devient possible.

— Et Gilad Pellaeon s’accroche toujours à la vie, approuva Yage.

Tekli sourit.

— Son rétablissement sera long, mais d’ici six jours, il devrait pouvoir quitter la cuve bacta.

— Six jours ? C’est trop long !

— Pourquoi ? demanda Jacen.

— Pour les Moffs, Gilad est mort à Bastion. Flennic a eu le temps de s’approprier le pouvoir en prenant les commandes du Résistant et du reste de la flotte. A mon avis, il ne reculera devant rien pour rester où il est… Gilad est vulnérable et nous ne préserverons pas éternellement le secret. On murmure déjà que plusieurs navettes ont pu fuir Bastion avant la fin des combats. Bientôt, on saura qui était à bord…

— Que se passera-t-il alors ?

Yage haussa les épaules.

— Je l’ignore. Ça dépendra du Moff Flennic et de ses sbires. (Son comlink bipa. Ecoutant le message, elle répondit qu’elle arrivait.) Nous n’aurons plus longtemps à attendre pour en avoir le cœur net… Nous venons de recevoir l’ordre de rejoindre les forces de Flennic.

— Ne pouvez-vous pas l’enfreindre ? demanda Jacen.

— Pour ça, il nous faudrait une sacrément bonne raison !

— Si vous me laissiez parler à un officier supérieur ? Nous pourrions peut-être trouver un arrangement…

Gênée, Yage dévisagea Jacen, qui comprit parfaitement ce qu’elle pensait. Un Jedi attendait qu’elle lui dise le plus naturellement du monde pourquoi elle désirait désobéir à un ordre ! A l’évidence, pourtant, elle était tentée… Un Chevalier Jedi avait sauvé l’amiral. Un autre lui épargnerait peut-être ce cas de conscience. Au minimum, ça lui éviterait de prendre une mauvaise décision.

Jacen s’abstint de préciser que son expérience des Impériaux était virtuellement inexistante.

Après réflexion, Yage capitula.

— Quelqu’un aurait-il une meilleure idée ? Non ?

Elle écouta le silence – aussi profond qu’il était possible à bord d’un vaisseau de guerre Impérial.

— Eh bien, au moins, j’aurai posé la question… (Tournant les talons, elle fit signe à Jacen de lui emboîter le pas.) Voyons maintenant si vous pouvez aggraver la situation…

 

— Escadron Soleils Jumeaux, annonça la voix de la capitaine Mayn dans le comlink du casque de Jag Fel, fin d’alerte. Position orbitale atteinte, bon pour un déploiement satellitaire. Vous pouvez repasser en mode de contrôle interne.

— Bien compris ! répondit Jag Fel avant de repasser, comme suggéré, sur la fréquence subspatiale de l’escadron. Vous avez entendu la capitaine. Tout s’est bien déroulé. Mais vérifions les alentours avant d’en prendre trop à notre aise, les gars…

L’Escadron Soleils Jumeaux se divisa en quatre, chaque vol accélérant dans différentes directions. Vue de l’orbite, Galantos, d’une couleur marron verdâtre marécageuse, était fort peu engageante. Au premier abord, on n’y décelait pas de traces de civilisation. Mais les Fia s’aperçurent très vite de la présence de vaisseaux étrangers en orbite.

— Bâtiments inconnus, dit une voix sur un canal subspatial, ici Contrôle d’Al’solib’minet’ri. Veuillez vous identifier et préciser l’objet de votre visite.

— Ici la capitaine Todra Mayn de la frégate Fierté de Sélonia. Notre mission est pacifique. Nous venons nous entretenir avec le conseiller Jobath.

— Pas si vite, capitaine Mayn, répondit le Fia. Vous avez identifié un seul vaisseau alors que j’en compte quatorze.

— Exact, contrôle. Il y a le Fierté de Sélonia, le Faucon Millenium et l’Escadron Soleils Jumeaux.

— Et vous commandez cette mission, capitaine ?

— Uniquement pour les problèmes de logistiques. Sinon, je suis aux ordres de Leia Organa Solo.

— Par la Multitude ! Leia Organa Solo ?

— Oui, contrôle.

— Alors, nous vous souhaitons chaleureusement la bienvenue, capitaine ! Et à tous vos camarades aussi ! Je suis sûr que le conseiller Jobath sera ravi de s’entretenir avec Leia Organa Solo, une fois les formalités accomplies.

— Quelles formalités, contrôle ? Nous venons de nous identifier et de préciser l’objet de notre visite. Que vous faut-il de plus… ?

— Capitaine, sur Galantos, nous croyons au travail bien fait. Nous ne savons toujours pas combien de temps vous comptez rester, combien d’entre vous désirent descendre à terre, le but précis de votre visite, ni où vous entendez aller…

Il y eut une courte pause.

— Très bien, contrôle, soupira Mayn. Nous allons vous répondre.

— Merci, capitaine, répondit le Fia. (Dans l’unité com, Jag « entendit » un petit sourire dans sa voix satisfaite.) Tout d’abord, puis-je avoir votre ordre de mission ?

Jag se détourna de la conversation, laissant les deux officiers régler les détails. En l’état, il avait assez à penser. Bombardé chef des Soleils Jumeaux, il devait veiller aux bonnes conditions d’arrivée de l’escadron dans un nouveau système. S’il considérait que Jaina et lui avaient fait du bon travail, côté procédures, il restait des difficultés à aplanir. Deux ailes X flanquaient sa griffe alors que deux autres griffes suivaient le chasseur de Jaina. Dans l’intérêt de la mixité des vols, la même configuration s’appliquait au reste de l’escadron. Cela n’irait pas sans quelques maladresses initiales, le temps de s’adapter. Mais la cohésion du groupe était à ce prix.

Survolant des océans d’un vert gélatineux, Jag vira en souplesse, en direction du pôle sud et ne repéra rien d’insolite.

— Rien à signaler, Leader, dit la voix de Jaina dans son comlink.

— Merci, Deux. Et vous, Trois et Quatre ?

— Ciel dégagé, Leader.

— La routine ! ajouta Quatre, un pilote détaché de l’Escadron Chiss.

— Nous ne sommes pas là pour faire des vagues, rappela Jag à ses pilotes. Pas question d’épater les indigènes, les gars !

— Vu d’ici, ils manquent sérieusement de divertissements, pourtant, observa Sept, pince-sans-rire.

Le contrôleur d’Al’solib’minet’ri demandait toujours des précisions à Mayn.

— Vous avez vraiment besoin de coordonnées exactes pour l’atterrissage du Faucon Millenium ?

— J’en ai peur, capitaine. Ça évitera bien des tracas pour la suite, croyez-moi. Et tant que vous y êtes, j’apprécierais aussi que vous me communiquiez l’identité des membres de votre détachement.

Mayn soupira.

Jag sourit. S’il était lui-même très strict sur le respect du règlement, le Fia atteignait des sommets de ridicule… A la place de la capitaine, Jag aurait atterri malgré les exigences interminables de la tour de contrôle. A son avis, les conséquences n’auraient pas été très graves. Les Fia n’avaient pas de défenses planétaires. Que feraient-ils si Mayn, à bout de patience, envoyait balader leurs précieuses procédures ?

La diplomatie n’étant pas son fort, Jag se félicita de laisser l’aspect politique des choses à des experts comme les parents de Jaina – même si Yan Solo aurait été plutôt de son avis.

Lui non plus, il ne fallait pas trop le chatouiller…

La voix lasse de Mayn retentit de nouveau sur la fréquence.

— Le droïd de protocole Cybot Galactica C-3PO, le Chevalier Jedi Tahiri Veila…

Ce dernier nom retint l’attention de Jag. Il activa un autre canal pour parler à Jaina en privé.

— Savais-tu que Tahiri accompagnait tes parents ?

— Non, répondit-elle. Mais ce n’est pas un problème pour toi ?

La réponse de Jag se fit un peu attendre. Il savait que Tahiri, une amie de Jaina, avait été proche de son frère, Anakin, mais ça ne l’aurait normalement pas empêché d’exprimer ses doutes. Pourtant, il s’était abstenu.

Il y avait eu la dépression de Tahiri, sur Mon Calamari, accompagnée d’un comportement très inhabituel. Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus, mais… Quelque chose clochait chez la jeune femme. Il le sentait.

— J’imagine que non…, répondit-il enfin.

Il n’avait pas eu conscience de ses doutes jusqu’au jour où ils avaient quitté Mon Calamari. Le départ avait eu lieu discrètement – pas comme celui de l’Ombre de Jade –, même si Leia et Yan avaient un statut officiel d’ambassadeurs de l’Alliance Galactique. Cal Omas, le commandant suprême Sien Sovv et Kenth Hamner leur avaient fait leurs adieux sans fanfare. Puis le Faucon Millenium avait transféré en orbite les pilotes de l’Escadron Soleils Jumeaux qui n’étaient pas déjà à bord du Fierté de Sélonia.

Jaina avait étreint ses parents, Jag acceptant une claque amicale dans le dos de Yan. Todra Mayn, une femme élancée qui boitait légèrement, avait salué l’assemblée avec tout le respect requis. Et voilà…

Tout le monde gagnant son bord, Jag avait observé Tahiri, qui se tenait à l’écart, l’air détaché de tout. Sur son front, les cicatrices laissées par les tortures des Yuuzhan Vong se découpaient nettement.

Quant à son regard…

Sans être enclin aux envolées lyriques, Jag Fel n’ignorait pas pour autant ce que ses sens lui soufflaient.

Quand il avait surpris une expression de dégoût, chez Tahiri, et lu dans ses yeux une haine féroce, d’instinct, il avait failli dégainer son blaster…

Au moindre mouvement suspect dirigé contre Jaina ou sa famille, il entendait être prêt à intervenir. Et si elle avait manifesté l’intention d’attaquer, il l’aurait abattue sans hésiter.

Mais elle s’était tenue tranquille. L’alerte passée, Jag avait hésité à éloigner la main de son holster. Avait-elle senti peser son regard sur elle ? En tout cas, elle s’était brièvement tournée vers lui…

Alors, Tahiri était soudain redevenue elle-même. Au point qu’il s’était fait l’effet d’un imbécile. La lueur qu’il avait surprise dans ses prunelles avait disparu, remplacée par de l’incertitude.

Abattre Tahiri ? Mais que lui était-il passé par la tête ? C’était une jeune femme malade, qui aurait eu besoin de repos au heu de partir accomplir une nouvelle mission avec d’autres guerriers, aussi las qu’elle. Leia et Jaina pensaient qu’elle avait du mal à accepter la mort d’Anakin. A force de refouler son chagrin, elle perdait pied. Si les choses s’aggravaient, elles la soutiendraient sans hésiter.

Et voilà tout. Fin de l’histoire.

Jag n’avait aucune raison de douter que ce fût effectivement la fin de l’histoire. Néanmoins, cette expression fugitive de dégoût… Il ne l’avait pas rêvée ! Au cours du voyage vers Galantos, il n’avait cessé d’y repenser. Il ne savait pas ce que les Yuuzhan Vong avaient infligé à Tahiri sur Yavin 4, mais une chose était sûre : leur biotechnologie était bien supérieure à tout ce dont disposait l’Alliance Galactique. La lueur malveillante que Jag avait surprise dans les yeux de Tahiri avait-elle un rapport avec tout ça ? Impossible d’en avoir le cœur net… Mais quelles que soient les pensées qui hantaient la jeune femme, derrière sa façade lisse, Jag devrait en savoir plus avant de pouvoir agir. Pour ça, il devrait la garder à l’œil en toutes circonstances…

— J’envisage de me porter volontaire pour les missions au sol, annonça-t-il à Jaina sur la fréquence privée. Je n’ai pas vu grand-chose de l’Alliance Galactique, sauf en orbite…

— Tu n’aurais pas pu choisir un pire endroit pour commencer, Jag ! La surface ressemble à une immense flaque d’huile de vidanges !

— Eh bien, ça me changera de l’espace, en tout cas. Qu’en dis-tu ? Prête à m’accompagner ?

— C’est tentant, mais non. Si ça ne te fait rien, j’aimerais autant respecter les procédures. Il le faut, au cas où les Yevethas reviendraient par ici…

Jag crut capter de la désapprobation dans la voix de Jaina.

— Je suis mal parti, c’est ça ? (Il rechignait à donner la véritable raison de sa requête.) Notre arrangement date d’il y a quelques jours, et je traîne déjà les pieds en discutant sur le tableau de service…

— Pas de problème, Jag. Ne t’en fais pas pour ça. Tu es libre de te porter volontaire là où ça te plaît. J’espérais moi-même arranger le tableau de service, histoire d’être sûre que nos périodes de repos coïncident. Mais si patauger dans l’huile de vidange te plaît plus que d’être avec moi…

Jag sourit.

— Tu sais bien ce qu’il en est… J’espérais pouvoir combiner les deux.

— Tu as passé trop de temps à te tourner les pouces ! La prochaine fois que je commanderai l’escadron, je te dénoncerai à ton supérieur, compte sur moi !

La communication désactivée, Jag se félicita. Il pourrait se porter candidat au débarquement sans éveiller les soupçons de Jaina – ni s’attirer sa colère. Ses pensées revinrent aux procédures en cours. De ce point de vue, Jaina avait absolument raison. Malgré ses soupçons sur Tahiri, il devait avant tout veiller sur l’escadron et assurer la sécurité de la mission. En dernière analyse, le sort de Tahiri était du ressort de celle qui l’avait invitée à bord. Et s’il ne pouvait pas se fier à Leia Organa Solo, sur qui compter ?

Néanmoins, il décida de se porter volontaire. Juste au cas où.

 

— Vous êtes quoi ? s’écria le général Berrida.

Sa silhouette projetée par l’holoprojecteur du Faiseur de Veuves, il foudroyait Jacen du regard.

— Un Chevalier Jedi, répéta le jeune homme. Je viens à votre aide.

— A notre aide ? couina le gros général. Et qui vous fait penser que nous en aurions besoin ? Tout ce que je vois, c’est un gamin dans des robes d’adulte !

— Les apparences sont trompeuses, rappela Jacen, refusant de se laisser intimider par son interlocuteur.

Berrida ricana.

— Alors, où est votre vaisseau de soutien, Jedi ?

— L’Ombre de Jade est loin d’ici. (Jacen avait parlé à Luke, s’assurant que tous resteraient hors de vue jusqu’à ce que son pari marche… ou pas.) Ne vous inquiétez pas.

— Vous n’avez pas à me dire de quoi je dois m’inquiéter, mon garçon ! grogna Berrida. Je déteste que des vaisseaux inconnus rôdent dans mon système !

— Un sentiment que je partage tout à fait, général. Voilà pourquoi je viens vous offrir mon aide.

— Nous n’en avons pas besoin !

— Permettez que j’en doute…

Jacen arpentait la passerelle exiguë du Faiseur de Veuves en s’efforçant de paraître le plus calme possible. En réalité, il réfléchissait plus vite qu’au cours d’un combat au sabre laser.

— A votre avis, général, pourquoi les Yuuzhan Vong ont-ils attaqué Bastion ?

— Ils n’ont donné aucune explication.

— Et ils n’en donneront aucune. Pourtant, ils n’ont certainement pas agi sans raison. Personne ne risque ses forces pour rien. Alors, général, vous qui n’êtes pas un imbécile, vous avez forcément votre petite idée sur la question. Pourquoi ne pas la partager avec nous ?

Berrida se redressa, irrité.

— Il s’agissait de représailles.

— Pour ?

— Garqi, Ithor, Exodo 2…

— Et pour nous avoir fourni des informations qui nous ont permis de renverser la situation en notre faveur lors des derniers combats ! (Jacen savoura l’air surpris de Berrida. Sur la passerelle du Faiseur de Veuves, Yage fronça les sourcils.) Ma mère a négocié cet accord avec l’Empire, général. Voilà mes sources. Et croyez-moi, peu de gens le savent. Dans notre camp, certains esprits rétrogrades répugnent à traiter avec vous…

— Et après ? grogna Berrida, de plus en plus irrité. Où voulez-vous en venir, mon garçon ? Exprimez-vous clairement, avant que je ne vous fasse mettre aux arrêts pour obstruction à l’effort de guerre impérial !

— C’est très simple, général, répondit Jacen avec un sourire mielleux. Si l’accord passé entre l’Empire et l’Alliance Galactique était top secret, comment les Yuuzhan Vong ont-ils pu le connaître, à votre avis ? A l’époque, seuls vos officiers supérieurs et ma mère étaient au courant. Nous savons qu’il n’y a pas eu de fuite de notre côté, puisque les nouveaux itinéraires hyperspatiaux que vous nous avez communiqués ont donné entière satisfaction. Si les Yuuzhan Vong avaient infiltré notre chaîne de commandement, vos informations ne nous auraient servi à rien. En conséquence, il y a eu une fuite dans votre camp.

Jacen marqua une pause avant de porter l’estocade.

— Bref, un espion sévit parmi vos hommes, général.

— Absurde ! s’écria Berrida. (Mais son ton prouvait que le raisonnement de Jacen avait fait mouche.) C’est impossible !

— Absolument pas !

Le jeune Jedi passa de l’offensive à la compassion. Il s’agissait de se faire un allié de Berrida plutôt que de poursuivre l’attaque au risque de se l’aliéner.

— En vérité, nous avons aussi des problèmes d’infiltration. D’abord avec les Yuuzhan Vong et maintenant avec la Brigade de la Paix… Votre entourage pourrait être infesté d’espions vong. Des déguisements vivants, les masques ooglith, leur permettent de prendre l’apparence de n’importe qui.

— Nous ferons des contrôles surprise, répondit Berrida.

Mais il perdait son assurance à vue d’œil.

— De vaines précautions, j’en ai peur… A moins de savoir ce que vous cherchez.

Berrida le foudroya du regard.

— Ce qui est votre cas, j’imagine ?

— Mes compagnons et moi avons une longue expérience du sujet. Nous ne prétendons pas comprendre les Vong, mais peu à peu, nous apprenons à les cerner. Et pour l’instant, ça me paraît essentiel.

Plus important même que de les vaincre…, ajouta mentalement Jacen.

Mais il doutait que le général souscrive à cette philosophie.

Sois patient. Une chose à la fois…

— Admettons que je vous croie sur parole concernant…

— Vous n’avez pas à me croire, général, coupa Jacen. Les faits parlent d’eux-mêmes.

— Admettons que j’accepte votre raisonnement, insista Berrida. Et après ? Etes-vous venu me demander de vous laisser influencer mon état-major ? Comment saurais-je si je n’échange pas une forme d’infiltration contre une autre ? Je n’ai pas à vous faire confiance sous prétexte que vous êtes apparemment parvenu à vaincre mon ennemi.

— Je ne vous demande rien de tel, général. Mais je vous offre mes conseils. C’est à prendre ou à laisser. Permettez que je vous fasse ma proposition dans les règles, ensuite, vous déciderez en toute connaissance de cause.

— De quel genre de conseils parlons-nous ?

— D’abord, nous vous indiquerons la manière de détecter et d’éliminer les espions vong infiltrés dans vos rangs. Ensuite, nous enseignerons à vos pilotes de nouvelles tactiques qui leur permettront de mieux se battre. Enfin, je vous livrerais mon opinion sur ce que vous auriez intérêt à faire maintenant.

— A savoir ?

L'Hérétique de la Force T1 - Les vestiges de l'Empire
titlepage.xhtml
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_000.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_001.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_002.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_003.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_004.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_005.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_006.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_007.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_008.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_009.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_010.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_011.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_012.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_013.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_014.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_015.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_016.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_017.htm
Sean Williams & Shane Dix - Le nouvel ordre Jedi 15 - L'heretique de la force 1 - Les vestiges de l'Empire_split_018.htm